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Philippe ContalTisserand numérique Créateur de #TerritoireDigital www.PhilippeContal.info Recherche
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"La propriété est un piège :
ce que nous croyons posséder nous possède." Alphonse Karr, écrivain français (1808-1890) Au bord de l'eau L’hiver touche à sa fin. La neige se retire progressivement du paysage. Les pistes de ski disparaissent pour laisser la place à la végétation encore endormie. Après avoir traversé la station de télécabine, je me dirige vers la forêt. Le sol est recouvert d’une épaisse couche de feuilles mortes, parsemée çà et là de quelques restes du manteau blanc hivernal. Je suis le cours d’eau bordé d’arbres tortueux. Ceux-ci s’entrelacent pour générer une ambiance particulière, proche de ce que l’on imagine dans une légende fantastique. Lutins et dragons auraient leur place dans cet environnement aux couleurs étendues, du rouge aux variantes brunes des feuilles qui jonchent le sol au vert tendre des bourgeons et de la mousse qui enveloppe les rochers. L’eau coule inlassablement, creusant son lit, emportant quelques branches vers un destin inconnu. Au bord de l’eau, je m’arrête et je m’assieds sur un rocher aux formes arrondies. Des chiffres défilent dans ma tête. Je suis habitué aux chiffres mais ils semblent, à ce moment-là, s’animer d’une danse particulière. Ce ne sont pas les chiffres en eux-mêmes qui m’interpellent, mais leur signification et ce qu’ils représentent. L’eau coule dans la rivière et je pense au temps qui passe et à notre société actuelle. Les nombres qui défilent représentent les échanges de biens et services, comme l’argent a permis de les matérialiser depuis son invention. Mais depuis cette époque lointaine, ils ont été déconnectés de la réalité. Lorsque je consulte mon compte bancaire, qu’est-ce que signifient exactement les informations affichées sur mon écran ? A vrai dire, je me retrouve comme dans un jeu de rôle où un tableau de bord indique les points de vie, ou le potentiel de puissance d’un personnage qui m’est étranger. Le monde virtuel a permis beaucoup de choses, mais il a surtout donné naissance à un nouvel étage dans notre manière de voir le monde, déconnecté de la réalité matérielle, de notre condition d’être humain. Dans mon métier de chef d’entreprise, les chiffres constituent un outil essentiel pour appréhender le fonctionnement et pour décider. Et pourtant – heureusement devrais-je dire ? – j'ai pris les plus grandes décisions en suivant mon intuition. Les chiffres et les tableaux de bord me permettent de valider la possibilité ou de positionner un calendrier de mise en application de mes décisions, mais les choix restent conditionnés principalement par une forme de sixième sens, voire parfois un pari qui n’a pas à être expliqué. Mais les chiffres qui défilent maintenant dans mon esprit, ne sont pas ceux de mes tableaux de bord. Ils représentent le système général dans lequel j’évolue, où mon entreprise se développe et dont l’économie nous conditionne. Car c’est bien d’un conditionnement dont il s’agit. Ma réflexion porte sur le système qui nous a permis de structurer nos pays mais qui nous a en parallèle enfermés dans un endettement dramatique. A titre individuel, nous sommes nombreux à être vulnérables à un changement de revenus. Le problème est identique à l’échelle des entreprises et des états. C’est juste… que le risque est démultiplié et les enjeux énormes. Comme un jeu fractal, la surconsommation, le « toujours plus » nous impose des choix qui sont pourtant contraires à nos envies individuelles et collectives. Le fait d’acheter et de penser posséder nous oblige à dépenser encore plus. A quel moment doit-on dire « stop » à cette course épuisante du « consommer plus » ? J’achète une voiture, mais il faut la faire rouler, l’assurer, payer les péages… J’achète une maison mais je dois l’entretenir, dépenser pour l’énergie, son fonctionnement, payer une participation à la vie collective par les différentes taxes destinées aux structures locales. Loin de moi l’idée de me soustraire à une vie moderne. Je ne suis pas du genre à vivre dans les bois. Non… ce qui me vient à l’esprit, c’est que tout est basé sur une hypothèse de croissance infinie. Cette utopie nous fait fermer les yeux sur la possibilité de vivre mieux… avec moins. Car au final, est-ce bien raisonnable de s’endetter pour 15 ans, 20 ans voire plus, pour ne peut-être jamais arriver au terme du stress permanent de devoir rembourser ? Est-ce pertinent d’alimenter le système bancaire et financier avec des intérêts qui dépassent – ou amputent sérieusement – nos revenus ? Car c’est bien la spirale infernale dans laquelle nous risquons de tomber, à la fois d’un point de vue individuel et de façon collective. La crise immobilière soigneusement présentée comme propre aux Etats-Unis a démontré la limite d’un endettement du particulier. La crise de l’Euro et la dette grecque ont mis en relief la limite d’un engagement des états. Et pourtant… a-t-on vraiment tiré une leçon de ces «brillantes» démonstrations ? Il semble bien que non. Le système économique actuel craque de tous les côtés, mais notre myopie généralisée nous empêche de voir le mur vers lequel nous nous projetons. Comme les pantins destinés aux crash-tests, nous donnons l’impression de regarder devant nous, tout en fermant les yeux pour ne pas voir. Mon choix de vie passe par une condition qui m’amène aujourd’hui à reconsidérer les composantes de mon quotidien. J’ai besoin de souplesse dans mes décisions, j’ai besoin d’une sensation de liberté pour pouvoir créer, pour me permettre de produire et communiquer sur ma quête permanente, celle du Sens. J’ai besoin de temps pour apprendre, réfléchir, décider, agir et progresser. L’eau coule dans le ruisseau, animée par les rochers qui coupent le courant en flots qui se rejoignent comme si rien ne s’était passé. Le temps ne s’arrêtera pas mais notre civilisation doit changer. Notre vie ne va probablement pas connaître de révolution mais nous devons nous adapter à un monde nouveau. Ce monde que nous avons créé et auquel nous participons sans nous en apercevoir tente de nous éloigner de nos valeurs. Il ne s’agit pas de consommer plus ou de consommer mieux. Il s’agit de se poser les bonnes questions. Il s’agit de faire les bons choix pour Être ce que nous sommes et sélectionner les chemins que nous empruntons selon leur réelle valeur ajoutée, individuelle et collective. L’eau passe devant mes yeux et me rappelle que ce que je veux avant tout, c’est jouer le rôle d’un neurone social. Le neurone, dans le cerveau, collecte des informations, les traite et les restitue à d’autres neurones. A l’aube de l’Internet, voici près de vingt ans, j’ai été conquis par cette modélisation neuronale que nous offrait le réseau des réseaux. Aujourd’hui, force m’est de constater que l’usage n’est pas à la hauteur de mes rêves. Mais ce n’est pas parce que le monde tourne de travers qu’il faut contribuer à ce qu’il tourne encore plus mal, encore plus vite. La théorie du chaos m'a appris que le désordre local pouvait devenir un ordre global. Le mouvement chaotique des particules élémentaires dans les atomes est invisible à mes yeux et la matière me semble stable. Aujourd’hui, il semble que le désordre généralisé de notre société me permette tout de même de préserver un havre de paix, une forme d’ordre local. Je vais donc chercher à préserver mon cercle proche tout en restant connecté aux autres bulles que je côtoie quotidiennement. Et surtout, je vais préserver ma liberté de choisir, d’agir et de vivre selon mes aspirations et non pas comme l'esclave d’un modèle théorique et utopique. Je me lève pour reprendre le chemin qui longe le cours d’eau. Chemin ? C’est plutôt une succession de segments de sentiers, tantôt entre les arbres, puis serpentant entre les rochers aux formes irrégulières, puis une véritable plage de feuilles mortes… Comme dans ma vie, mon chemin prend une allure variable, me réservant des surprises au détour des pierres et des arbres recouverts de mousse humide. Je reprends le cours de mes pensées, mais avec une certitude : je refuse de rester dans le piège en spirale dans lequel certains de mes choix pourraient m’enfermer. Je tiens à retrouver et à préserver ce degré de liberté dont j’avais fait une priorité voici une douzaine d’années… car j’ai choisi de pouvoir choisir. Un peu de technique… Sur cette photographie, le cours d’eau apparaît comme un brouillard. Cet effet est obtenu grâce à un long temps de pose de l’appareil photographique. Immobilisé sur un pied, celui-ci permet de conserver un paysage fixe tout en fluidifiant un élément mobile, comme l’eau du ruisseau. Le seul problème de cette technique est qu’elle peut s’avérer délicate dans le cas de compositions très contrastées. Pour donner à l’eau l’effet souhaité, il faut un temps de pose long, pouvant parfois dépasser la seconde (en fonction de la lumière ambiante, de la sensibilité choisie et de l’ouverture). Mais du coup… certains reliefs peuvent être « grillés », surexposés. La technique se double donc de la combinaison de plusieurs photographies prises avec différents temps de pose. Ce type de prise de vues en série s’appelle le bracketing. L’appareil permet de « mitrailler » avec une variation automatique du temps de pose. Les poses courtes permettront d’obtenir les éléments très lumineux alors que les poses longues restitueront les zones sombres et celles que l’on souhaite prendre en mouvement. La deuxième étape consiste en la combinaison de ces photographies pour n’en faire qu’une. Cette technique s’appelle le H.D.R. (High Dynamic Range en latin moderne, ou imagerie à grande gamme dynamique). Une partie de ce travail s’effectue en essayant différentes zones et modes de combinaison. Ensuite, le logiciel génère une vue combinée qui se traduit par une seule image. Dans le cas présent, trois photographies ont été retenues parmi les 9 prises en série. Le temps de pose vie de 1/15 à 1/6ème de seconde, pour une ouverture du diaphragme de F/14. L’assemblage HDR permet donc de voir l’eau sous cette forme singulière de brouillard, tout en conservant les détails et les reliefs de l’environnement des rochers et du sol.
Note : sur Voyage immobile, un "tableau" est la combinaison d'une photographie, d'une citation et d'un rédactionnel de l'auteur. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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